• On peut étudier une langue étrangère pour de nombreuses raisons - par exemple pour travailler dans une société de traduction - d’où la diversité des méthodes et des résultats. En voici quatre:
1) le désir de voir se refléter dans ce qui semble différent (c’est à dire la langue étrangère), les “lois de l’esprit humain”. Cette étape est celle préfixée par les méthodes traditionnelles: la langue étrangère est insérée dans un système grammatical en général latinisant; on s’évertue à expliquer de façon rationnelle les nombreuses anomalies, on vise la réalisation, non de connaissances pratiques, mais d’un solide bagage culturel où le relativisme de l’anthropologie linguistique n’a que peu de place.
Le désir de quintessencier la réalité multiforme d’une langue est également à la base de la linguistique chomskyenne et de la disposition des langues autres que l’anglais dans les schémas culturels élaborés pour la description ou pour l’enseignement de l’anglais; il s’ensuit que même ces approches “néo-idéalistes” ne consacrent pas beaucoup d’attention aux phénomènes ethnolinguistiques;
2) le désir de se servir de la langue étrangère pour “s’en sortir” à l’étranger, pour “parcourir rapidement” des livres techniques ou des documents commerciaux, pour “échanger deux mots” avec d’éventuels hôtes étrangers (pour les traducteurs professionnels qui désirent travailler chez des sociétés de traduction, cela n'est pas suffisant). Cette étape est franchie avec les méthodes directes très pratiquées dans de nombreuses écoles de langues privées. Pour faciliter l’apprentissage des schémas interactifs de base, la langue des dialogues et des exercices oraux est réduite à son ossature structurelle. Elle devient à la limite une langue sans patrie, une espèce d’Esperanto qui laisse donc peu de place à des considérations ethnolinguistiques: les phrases qui la composent sont en général simples et logiques, parfois colorées de quelques idiomes, mais banales ; les situations évoquées sont principalement universelles;
3) le désir de comprendre ce que signifie ‘parler’ ou ‘écrire’; le désir de pouvoir communiquer quelque chose de ses propres pensées et sentiments à des personnes ‘autres’, en maniant de façon appropriée la langue étrangère. Cette étape place l’enseignement d’une langue étrangère au centre des processus dits d’éducation linguistique; elle ne permet cependant pas - ou alors de façon sommaire - le développement d’analyses ethnolinguistiques durant les phases initiales de l’apprentissage.
En effet, pour des nécessités didactiques, cette méthode fait pratiquer un langage sans aucun doute riche et authentique, mais dans des situations choisies pour mettre en avant certaines dynamiques psycho-sociolinguistiques généralisables en situations universelles.
A la limite, plus les actes de communication pratiqués par les étudiants en classe sont réels et authentiques et, par contre, moins les actes concernant l’utilisant de la langue dans la culture d’origine le sont.
Le schéma psycho-sociolinguistique indiqué ci-dessus, bien que limité, est plus acceptable - et même conseillable - durant les phases initiales de l’apprentissage d’une première langue étrangère.
4) le désir de connaître une autre civilisation dans ses différences intraduisibles et donc incarnées uniquement dans les réalisations verbales des autochtones ainsi que dans les systèmes non-verbaux typiques de la civilisation en question. (Cette compétence est très appréciée surtout par les sociétés de traduction comme la nôtre). En pratique, il s’agit d’apprendre la langue de cette civilisation, les codes ethnolinguistiques et comportementaux sous-jacents à leur utilisation effective. C’est alors seulement que nous pouvons communiquer avec un autochtone, en le comprenant totalement et en lui donnant l’impression de parler et sa langue et son langage, c’est à dire de “penser” comme lui.
Cette étape est clairement la plus ambitieuse des quatre, et on l’atteint généralement uniquement à travers un séjour prolongé à l’étranger, où ‘faits linguistiques’ et ‘faits culturels’ sont vécus dans leur unicité. Mais le séjour ne suffit généralement pas.
Sans une préparation ‘anthropologique’ adéquate, l’étudiant qui séjourne à l’étranger pour perfectionner la langue peut se trouver en difficulté, tant en ce qui concerne le dépassement des résistances de caractère psychologique, qu’en ce qui concerne la ‘lecture’ correcte des faits ethnolinguistiques.
Auteur : Patrick Boylan
Directeur de projet
Agence Traduction-IN